Sept idées reçues sur le Parlement européen
C’est fait, le 9 juin 2024, les urnes européennes ont élu un nouveau Parlement. À l’heure des analyses chiffrées, des pourcentages et des statistiques, nous devons accepter, une fois de plus, une réalité inquiétante, les 50 % d’abstentions de vote.
Reconnaissons-le, entre idées reçues et ignorance, bien peu de citoyens français ne mesurent ce que recouvre réellement l’enjeu du choix de ses eurodéputés. Voici 7 idées reçues sur le Parlement européen. Vraies ou fausses, elles nous feront réaliser qu’il n’est jamais prudent de laisser les autres décider pour nous.
1. Le Parlement européen n’est pas représentatif des citoyens européens
FAUX Aujourd’hui, il reste même la seule institution transnationale élue directement par des citoyens.
Le Parlement européen est aussi l’une des plus anciennes institutions européennes. Dès 1951, le traité de la CECA instaurait une Assemblée parlementaire, constituée de 78 députés. Cependant, ceux-ci disposaient tout au plus d’un rôle consultatif. Toutefois, le traité de Rome conserva cette institution. Il augmenta même son effectif jusqu’à 142 députés, délégués par leurs parlements respectifs. Ce même traité prévoyait, à long terme, d’élire l’Assemblée parlementaire au suffrage direct, sans rediscuter pour autant son rôle purement consultatif. C’est en 1962 que l’Assemblée parlementaire changea de dénomination pour devenir le Parlement européen. Cette appellation fut confirmée dans l’Acte unique européen.
En 1979, conformément aux promesses du traité de Rome, les premières élections au suffrage universel direct furent mises en œuvre. Les compétences du Parlement européen ont été accrues progressivement par les traités suivants, notamment le traité de Lisbonne (2007). En renforçant le cadre démocratique de l’Union européenne, celui-ci a conféré au Parlement européen un rôle législatif plus important et de nouvelles compétences. Aujourd’hui, le Parlement est considéré comme la principale institution de l’Union et dispose de la préséance cérémoniale sur toutes les institutions européennes.
Parlons chiffres :
Le Parlement européen représente près de 500 millions de citoyens. Tous les cinq ans, il appelle 360 millions d’électeurs aux urnes.
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2. Le Parlement européen est l’institution qui vote les lois européennes
VRAI ET FAUX Il est colégislateur avec le Conseil de l’Union européenne. Et ni l’un ni l’autre ne disposent de l’initiative législative. C’est la Commission européenne qui propose les lois.
Suivons le fil de cette partie à trois. La Commission européenne, promotrice de l’intérêt général de l’Union et gardienne de ses traités, a seule l’initiative de proposition des lois européennes. Celles-ci sont discutées et modifiées conjointement par :
le Conseil de l’Union européenne représentant les gouvernements des États membres,
le parlement européen, porte-parole des intérêts des citoyens.
Depuis le traité de Lisbonne (2007), la procédure législative ordinaire place sur un pied d’égalité ces deux institutions pour l’adoption des textes juridiques européens. Toutefois, le traité de fonctionnement sur l’Union européenne (TFUE) prévoit des cas particuliers soumis à une procédure législative spéciale qui ne relève pas de la compétence ordinaire du Parlement. Ceux-ci sont du seul ressort du Conseil européen***. Si ces domaines sont minoritaires, ils ne sont pas pour autant mineurs, tels que la politique étrangère et la sécurité commune (PESC).
Parlons chiffres :
La procédure législative ordinaire concerne près de 85 domaines d’activité qui couvrent la majorité des compétences de l’Union. Elle regroupe 20 commissions et 3 sous-commissions.
« L’initiative législative ressort de la Commission européenne. Toutefois, le TFUE * a conféré au parlement européen le droit de la solliciter pour lui soumettre toute proposition appropriée pour l’élaboration d’un acte communautaire.
*TFUE : Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
»
3. Les compétences du Parlement européen se limitent à valider des lois
FAUX Il dispose d’autres compétences au service des valeurs démocratiques de l’Union européenne :
Une autorité budgétaire sur les dépenses de l’Union (mais non les recettes)
Cette compétence est partagée avec le Conseil de l’Union européenne. Elle s’étend au contrôle de l’exécution des dépenses budgétaires de la Commission européenne pour l’exercice précédent.
Un pouvoir de nomination aux postes clés des institutions européennes
Le parlement européen nomme le président de la Commission et approuve (ou non) le choix des autres commissaires. Parallèlement, il est associé à la désignation des responsables de la Cour des comptes européenne, de la Banque européenne et des organes de gouvernance économique.
Des compétences étendues de contrôle de l’exécutif
Elles sont énumérées dans le TFUE qui met à sa disposition plusieurs instruments : motions de censure, questions écrites ou orales, examen du rapport annuel de la Commission. Le parlement est habilité à recevoir des pétitions de citoyens européens et à créer des commissions d’enquête sur d’éventuels manquements au droit communautaire. Parallèlement, il peut saisir la Cour de justice européenne s’il considère qu’une institution a manqué à ses devoirs. Autant de raisons pour se faire bien voir du parlement européen.
4. Le Brexit a permis aux États membres de l’Union européenne de récupérer les sièges vacants
VRAI ET FAUX Les Britanniques ont laissé 73 places vides, mais toutes n’ont pas été redistribuées.
À cette occasion, les États membres de l’Union européenne ont récupéré 27 sièges, les 46 restants ayant été prudemment mis de côté. Pour en comprendre la raison, remontons un peu le fil du temps.
En 2007, le traité de Lisbonne a fixé un maximum autorisé de 751 députés au Parlement européen, président compris. Ce n’était pas la première fois. Les traités d’Amsterdam (1995) puis de Nice (2001) avaient déjà fixé des limites, chaque fois repoussées en raison de l’élargissement de l’Union européenne. En 2007, elles furent à nouveau dépassées par l’arrivée de 53 nouveaux députés roumains et bulgares. Les principes démocratiques sont non négociables.
Paradoxalement, le système de la « proportionnalité dégressive » profite aux petits États, qui avec un minimum de 6 députés se retrouvent surreprésentés par rapport à leur population.
Quant au nombre de sièges attribués aux « grands États », celui-ci est soumis aux fluctuations démographiques nationales et aux nouvelles admissions dans l’Union.
Le Traité de Lisbonne mit fin à la tendance en introduisant le principe de représentation par « la proportionnalité dégressive ». Ce qui signifie que plus le pays dispose d’une population importante, plus il bénéficie de députés au Parlement. Par contrecoup, les petits pays, moins représentatifs de la population européenne, en ont (beaucoup) moins. Avec cependant des seuils bloquants : le maximum autorisé de sièges est de 96, le minimum de 6.
« Paradoxalement, le système de la « proportionnalité dégressive » profite aux petits États, qui avec un minimum de 6 députés se retrouvent surreprésentés par rapport à leur population.
Quant au nombre de sièges attribués aux « grands États », celui-ci est soumis aux fluctuations démographiques nationales et aux nouvelles admissions dans l’Union. »
Le départ des Britanniques en 2020, fut l’occasion de redistribuer quelques sièges supplémentaires en tenant compte de la nouvelle donne démographique de certains États membres. Ainsi, la France et l’Espagne obtinrent 5 eurodéputés supplémentaires et l’Italie et les Pays-Bas 3 de plus. Les sièges d’eurodéputés restant disponibles furent redistribués à 8 autres États membres.
Pour les élections 2024, 15 places supplémentaires furent remises dans les urnes, ce qui accroit l’effectif du Parlement à 720 députés. Si nous faisons la soustraction, soit 46 places en réserve moins 15, nous nous retrouvons avec 31 sièges encore disponibles pour les nouvelles admissions.
Actuellement, 9 pays frappent à la porte de l’Union européenne. Le jeu des chaises musicales n’est pas terminé.
Parlons chiffres :
Pour les élections européennes 2024, la France a gagné 2 eurodéputés supplémentaires, soit 81 au total. Après l’Allemagne, forte de 96 élus, elle est le pays le plus représenté au Parlement européen.
5. Les eurodéputés siègent par nationalité au parlement européen
FAUX Écartez à tout jamais cette idée reçue.
Ceci, conformément à l’article 14 du Traité de Lisbonne qui précise que le Parlement européen est composé de « citoyens de l’Union européenne ». En conséquence, les eurodéputés se regroupent non par nationalité, mais par « affinité politique ».
Ils sont élus au niveau national par scrutin proportionnel. Les listes ayant un score de moins de 5 % des suffrages sont éliminées d’office. Quant aux autres, plus elles obtiennent de votes, plus elles occuperont de sièges dans l’hémicycle européen.
Admis au Parlement européen, les élus nationaux intègrent l’un des groupes politiques organisés après les élections. Leurs places sont déterminées en fonction de leur tendance politique, de droite à gauche. Ils assurent leur organisation interne, avec un président, un bureau politique et un secrétariat. Toutefois, un député européen est libre de refuser de s’inscrire dans un groupe politique. La démocratie donne aussi la parole aux électrons libres.
Parlons chiffres :
Après les élections de 2024, 9 groupes politiques devraient être créés. Un minimum de 23 membres est nécessaire pour les constituer.
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6. Le siège du parlement européen se trouve à Strasbourg
VRAI mais non sans grincements de dents et pressions de Bruxelles.
Il est d’usage de parler de « Bruxelles » pour désigner l’ensemble des institutions européennes. Pourtant, il y a bien trois villes – Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg - qui se partagent les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
En 1952, les États fondateurs de la CECA avaient choisi Luxembourg, comme siège provisoire de leurs institutions. Cependant, la ville ne disposait pas d’un hémicycle suffisamment grand pour accueillir les séances plénières. Elles se tinrent alors dans le lieu adéquat le plus proche, les locaux du conseil de l’Europe à Strasbourg. Après la signature du traité de Rome, le choix des sièges des institutions européennes fut l’objet d’une concurrence âpre entre Bruxelles et Strasbourg, toutes deux candidates. Ce fut le jugement de Salomon qui décida pour l’avenir. Strasbourg devenait le siège de l’Assemblée parlementaire. Bruxelles hébergeait les institutions de l’exécutif. Cette répartition fut entérinée en 1997 par le traité d’Amsterdam et en 1999, les eurodéputés quittaient les locaux du Conseil de l’Europe pour inaugurer un bâtiment flambant neuf.
Toutefois, le traité de Lisbonne en conférant au Parlement européen de nouvelles attributions, rendit plus complexes ses relations avec les autres institutions. La colégislation avec le Conseil de l’Union européenne, le développement des commissions – qui se tiennent à Bruxelles - le contrôle budgétaire, multiplient les allers-retours entre les deux capitales européennes. Des eurodéputés argumentent en faveur du rapatriement du Parlement européen à Bruxelles : coûts des transports, empreinte carbone, perte de temps, etc. Pour l’instant, Strasbourg résiste et compte ses alliés.
7. Le droit européen n’est pas recevable lorsqu’il se trouve en contradiction avec la constitution d’un État membre
FAUX En raison du principe de primauté du droit européen. Et il est préférable pour tous les États membres de s’en souvenir.
« L’union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme… » article 2 du traité de l’Union européenne (TUE). Ce texte et son complémentaire, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), régissent les principes, les règles de fonctionnement et les procédures de l’Union. Avec l’ensemble des traités, ils constituent la référence juridique suprême reconnue par tous les États membres.
Tout pays adhérant à l’Union s’engage à respecter tous ses traités et à les appliquer, quitte, si nécessaire, à modifier sa propre constitution. Et ce n’est pas un engagement anodin. La cour de justice de l’Union, garante de l’application de la législation européenne, veille.
Dans l’un de ses arrêts (CJCE du 15 juillet 1964, Costa contre Enel, aff. 6/64), celle-ci a reconnu la primauté de la législation européenne sur les législations nationales. Puisqu’ « à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres […] et qui s’impose à leurs juridictions. » Ainsi, cette jurisprudence conforte la place de l’ensemble des traités européens au sommet de la hiérarchie juridique.
La France, à la demande du Conseil constitutionnel, a modifié déjà six fois sa Constitution pour se mettre en phase avec les principes de l’Union.
L’obligation de respecter les principes de l’état de droit et par conséquent, la législation européenne, constitue donc une norme juridique qui s’impose à tous les États membres. Et malheur à celui qui n’en tient pas compte. L’article 7 du traité de l’Union européenne se charge de sanctionner tout non-respect des valeurs européennes. Il décrit la procédure permettant d’activer des sanctions. Celles-ci peuvent aller d’une astreinte pécuniaire par jour jusqu’à une suspension du droit de vote dudit pays aux décisions du Conseil de l’Union européenne. Les conséquences ne sont pas anodines.
Celles-ci restent toutefois dans des limites encadrées, car aucun article dans les traités européens ne prévoit des mesures d’exclusion d’un pays de l’Union. Pour l’instant…
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Sources bibliographiques :
Site internet : Parlement européen - europart.europa.eu/portal/fr
Site internet : Vie Publique, Elections européennes 2024 : les résultats (13 juin 2024), vie-publique.fr/en-bref/294559-electionseuropéennes-2024 -les-resultats
Site internet : Vie Publique, Les révisions constitutionnelles liées à la construction européenne, 26 juin 2020, vie-publique.fr/eclairage/268317-revisions-consitutionnelles-liees-la-consturction-europeenne
Site internet : Légifrance, le service de la diffusion du droit, legifrance.gouv/fr
Site internet : Vie Publique, Etat de droit et primauté du droit européen : le point en trois questions, 27 octobre 2021, https// : vie-publique.fr/questions-reponses/281875-etat-de-droit-et-prilaute-du-droit-europeen-le-point-en-trois-questions
LEQUEUX Vincent, Qu’est-ce que l’article 7 qui permet de sanctionner un Etat de l’Union européenne ? (13 février 2024), site internet : touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue-/violation-des-valeurs-de-l-ue-comment-fonctionne-la-procedrue-de-sanctions-article-7.
GUITTON Marie, Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg, où siègent les institutions européennes ? Mis à jour par LEDROIT Valentin (24 juillet 2023), site internet : touteleurope.eu/institutions/bruxelles-Luxembourg-strasourg-ou-siegent-les-instituions-europeennes.
Arrêt Costa contre Enel :
Site Wikipedia.org/wiki/arret_Costa_contre_Enel.
Site internet : EUR-Lex – eur-lex.europa.eu/legal-content/fr