Commémoration du 11-novembre : que reste-t-il d’une victoire ? 

La commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918 a-t-elle encore un sens au XXIe siècle, à l’heure de la paix européenne ? Poser cette question est oublier que la symbolique d’un événement passé évolue dans le cours de l’Histoire. En 2023, cet hommage aux morts pour la France n’a plus le même sens qu’en 1922. Il a pris une forme plus intemporelle et plus universelle, mais avec une symbolique toujours aussi forte.

Pour en comprendre les raisons, remontons le fil de l’Histoire…

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Entre guerre et paix 

 

Onze novembre 1918, à 5 h 15 du matin, dans la clairière de Rethondes près de Compiègne. Dans la discrétion d’un wagon aménagé, des hommes – français, britanniques et allemands – signaient un accord d’armistice. Il mettait fin à quatre années de combats atroces.

Le cessez-le-feu fut prononcé le même jour, à 11 heures du matin : 11 – 11 – 11. Une symbolique qui renforçait encore la solennité de ce moment tant espéré. La première guerre du XXe siècle s’achevait enfin et de facto, les Alliés franco-britanniques considérèrent que la victoire leur appartenait.

Pourtant, au sens militaire du terme, l’armistice ne désignait pas la fin de la guerre et encore moins la victoire de l’un des belligérants. De fait, les accords du 11 novembre prévoyaient une simple trêve de 36 jours. Celle-ci serait néanmoins renouvelée plusieurs fois jusqu’à la ratification du Traité de paix de Versailles, le 28 juin 1919.

Le 11 novembre 1918, rien ne semblait joué politiquement, même si l’arrêt des combats était espéré par tous depuis longtemps. L’euphorie générale à l’annonce de l’armistice dans tous les pays en témoignait. Plus personne ne voulait se battre. Les politiques et les militaires devraient suivre le vœu des sociétés civiles : faire la paix.

 
« Armistice ou capitulation ?
Ne confondons pas les deux, car la différence est primordiale : l’armistice est un acte politique qui met fin aux hostilités, mais non à la guerre. La capitulation est un acte militaire entraînant un arrêt total et sans conditions de la guerre. La défaite totale est reconnue. »
 

Un hommage aux morts au champ d’honneur qui n’alla pas de soi

 

Lorsque le 11 novembre 1918 les armes se turent enfin, les chiffres étaient effrayants : cette guerre avait tué au total 18,6 millions de personnes, soit 9,7 millions de combattants et 8,9 millions de civils. Presque autant de victimes civiles que militaires. 

En 1918, la France pansait ses blessures. Elle comptait près de 1 400 000 morts pour la France. Comment leur rendre hommage ? En 1919, un office fut célébré en leur mémoire, dans la chapelle des Invalides, en présence du Maréchal Foch. Des cérémonies du souvenir furent organisées dans les communes françaises. Mais la France est un État de droit et rien n’est formalisé sans l’appui de la loi. 

Celle du 8 novembre 1920 décida qu’un hommage serait rendu aux restes d’un soldat inconnu mort au champ d’honneur. Il fut inhumé sous l’Arc de Triomphe le 28 janvier 1921. Il représentait symboliquement tous les poilus tués ou disparus dans la tourmente de la guerre. 

Cependant, les anciens combattants souhaitaient davantage en reconnaissance de toutes leurs souffrances endurées. La loi du 24 octobre 1922 fixa définitivement au 11 novembre, jour férié, la commémoration de la Victoire et de la Paix. 

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Le sceau de la loi conférait désormais au souvenir du 11 novembre 1918 toute la solennité d’une cérémonie commémorative, pérenne, officielle et nationale. Ce qui signifiait que cette commémoration devait être organisée non seulement à Paris, mais dans tous les départements de la France, à la charge des Préfets, des sous-préfets ou des maires.

Depuis 1922, la commémoration du 11-novembre fut solennellement célébrée chaque année avec tout le faste républicain qui lui était dû. Exception faite de 1941 à 1944, pour les raisons que nous connaissons tous.

 

Que devient l’armistice du 11 novembre 1918 au XXIe siècle ?

 

Au XXIe siècle, une célébration pour la Victoire et la Paix de 1918 a-t-elle encore un sens ? Tous les poilus sont morts. Le souvenir de la Grande Guerre est devenu désormais le domaine exclusif des historiens.

À l’heure de l’Union européenne et de la réconciliation avec nos voisins allemands, fêter la victoire de 1918 est-il encore d’actualité ? Sinon de bon goût ?

Cependant, dans un État de droit comme la France, on n’abroge pas une loi d’un simple haussement d’épaules. Celle du 28 février 2012 modifia alors le sens de la commémoration du 11-novembre. Depuis cette date, nous rendons hommage à tous les militaires et civils morts au service de la France.

 
« Le jour anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918 et de commémoration annuelle de la Victoire et de la Paix, il est rendu hommage à tous les morts pour la France. Cet hommage ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationale. »
— Loi du 28 février 2012
 

En rassemblant le plus grand nombre de citoyens autour du souvenir de l’armistice du 11 novembre 1918, cette commémoration acquiert désormais une autre dimension. Elle devient

Le jour anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918 et de commémoration annuelle de la Victoire et de la Paix, il est rendu hommage à tous les morts pour la France. Cet hommage ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationale.

Loi du 28 février 2012 un acte fédérateur qui unit et rappelle à toutes les générations confondues, les valeurs de notre République. Celles pour lesquelles des hommes et des femmes ont combattu et combattent encore, au prix de leur vie.

 

Qui sont ces morts pour la France ?

 

Le statut de mort pour la France fut instauré au cours de la Première Guerre mondiale

En 1915, les soldats tombés au champ d’honneur se comptaient déjà par centaines de milliers. Il devenait impératif de trouver un moyen, de rendre hommage à ces combattants.   La loi du 2 juillet 1915 instaura le statut de « mort pour la France » avec effet rétroactif depuis le début de la guerre. 

Mort pour la France fut d’abord une mention honorifique indiquée sur l’état civil du défunt. Puis, la loi du 28 février 1922 compléta celle de 1915 en précisant le statut et les droits conférés à ces morts prestigieux.

Entre autres : 

  • celui de disposer d’une sépulture individuelle, aux frais de l’État, dans un cimetière militaire, 

  • l’inscription du nom du disparu sur le monument aux morts  de sa commune de naissance ou de son dernier domicile, 

  • la gratuité des droits de mutation par décès,

  • une pension éventuelle pour sa veuve, 

  • la reconnaissance pour les enfants du défunt du statut de  pupilles de la nation

 

Comment faire reconnaître son sacrifice pour la patrie ?

Le statut de mort pour la France est attribué par les services du ministère des anciens Combattants et des victimes de guerre. Il existe une liste très précise de circonstances où l’on considère qu’un Français ou une Française est mort au service de son pays. 

Précisons qu’elle intègre aussi bien des personnes civiles que des militaires. De la guerre de 1914 jusqu’à nos jours, l’énumération de cette liste égrène toutes les tragédies et les chaos d’un siècle : 

Première et Seconde Guerres mondiales – libération de la France – actes de résistance – morts en déportation – malgré-nous – guerres d’Algérie et d’Indochine…   

Et enfin, les militaires et les civils décédés dans des opérations extérieures. 

 

Des opérations extérieures à très hauts risques 

Aujourd’hui encore, des militaires français interviennent dans le monde entier, dans le cadre des OPEX. Cet acronyme désigne toutes les actions militaires engagées hors du territoire national. Elles prennent des formes très variées en matière d’objectifs, d’engagements, de durée et de moyens. 

Les Opérations extérieures ne datent pas d’aujourd’hui. Elles ont été engagées dès la guerre d’Algérie et de la décolonisation jusqu’à nos jours :

Épervier – Héraclès – Trident – Serval – Barkhane… 

Derrière ces noms aux sonorités mythiques et poétiques se dissimule une réalité plus tragique : il n’existe pas de guerre « zéro mort ». Et loin de la France, des hommes et des femmes meurent encore au service des intérêts de notre pays et des valeurs de notre République. C’est aussi cela que nous rappelle la commémoration du 11-novembre. 

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L’Histoire est ainsi faite : il y a l’évènement, dans toute sa vérité historique et la symbolique qu’il acquiert avec le temps. L’armistice du 11 novembre 1918 est en cela, un véritable cas d’école. D’un évènement historique, il est devenu le symbole intemporel des tragédies de la guerre : ses sacrifices, ses souffrances et ses morts. Il nous rappelle que si notre territoire national connaît la paix depuis plus de 75 ans, les guerres françaises perdurent dans le monde. Elles sont toujours là, comme un ennemi que l’on parvient à éloigner, mais jamais à vaincre définitivement. Et elles continuent d’égréner la liste des morts pour la France qui méritent bien chaque année un hommage national et une minute de silence. 

 
 

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