Marchés de Noël, une histoire pas très catholique

Etonnante succès story que celle des marchés de Noël. D’une tradition médiévale et spécifiquement germanique, nous nous retrouvons dans des festivités contemporaines qui placent chaque année la planète en état de surchauffe lumineuse.

Pour comprendre cette frénésie, remontons le cours d’une histoire complexe et pas toujours très chrétienne lorsqu’on l’étudie de plus près.

Des marchés d’hiver germaniques

Comme bien des traditions ancestrales, les origines des marchés de Noël, dont le fameux Christkindelsmärik strasbourgeois, présentent quelques certitudes entourées de beaucoup d’ombres.

 
« Les premiers marchés d’hiver naquirent dans les villes du Saint-Empire romain germanique, bien que l’on sache peu de choses sur leur finalité.  »
 

L’histoire commence dans le Saint-Empire romain germanique. Nous retrouvons une trace de ces marchés d’hiver, dès les XVe et les XVIe siècles. Ainsi, il s’en tenait un, le jour de Noël, à Dresde, dès 1434. Celui de Nuremberg, très célèbre, est mentionné pour la première fois en 1628, mais nous savons qu’il remonte au moins jusqu’à 1530.

Reconnaissons-le, les datations restent incertaines. Nous ne disposons pas davantage de réponse claire sur la finalité de ces marchés d’hiver. Se tenaient-ils spécialement à l’occasion de Noel ou faisaient-ils partie d’un calendrier religieux paroissial ? Mystère. Nous ignorons également si les denrées et objets artisanaux vendus étaient spécifiques aux festivités de Noël ou non.

Et Strasbourg ? Nous savons que la ville organisait jusqu’au milieu du XVIe siècle un marché quelques jours avant le 6 décembre, fête de saint Nicolas. Très célébré dans le nord-est de la France et les pays d’outre-Rhin, ce vénérable saint était censé distribuer des friandises et des cadeaux aux enfants. Le Klausmärik ou marché de la Saint-Nicolas, procurait aux parents ces précieuses denrées. Malheureusement, cette tradition catholique ne résista pas au séisme luthérien.

Un Christkindelsmarik strasbourgeois né grâce à la Réforme protestante 

En 1525, la cathédrale de Strasbourg adopta officiellement le culte protestant, sans que cela interrompit, semble-t-il, la tradition du Klausmärik. Mais en 1570, le pasteur de la cathédrale, Johannes Flinder, fustigea dans un sermon la célébration de saint Nicolas, comme une détestable pratique « papiste ». Il se montra si éloquent, que le conseil des XXI de Strasbourg prit la décision, le 4 décembre 1570, de supprimer le Klausmärik. Saint Nicolas, devenu saint non grata, fut prié de quitter la ville. 

Si le pasteur de la cathédrale était satisfait, les commerçants strasbourgeois l’étaient moins, car le commerce reste le commerce.  Chaque année, le Klausmärik attirait des voyageurs et des marchands venus de très loin. Entre rigueur réformiste et perte de bénéfices, on trouva donc un compromis à l’aide d’une gracieuse pirouette.  

Les commerçants strasbourgeois furent autorisés à disposer leurs étals, avant la date du 6 décembre, durant trois jours. Ils y vendraient désormais les traditionnels produits de Noël sous la bienveillance de l’Enfant Jésus.

Source : Pixabay

Le Klausmärik devenait le Christkindelsmärik, le marché de l’Enfant Jésus.  

 Le 30 septembre 1681, Strasbourg connut un second séisme : elle se plaçait, bon gré mal gré, sous la protection du roi de France, Louis XIV. La cathédrale fut rendue au culte catholique. Toutefois, le traditionnel Chriskindelsmärik perdura. Pendant très longtemps encore, il resterait une coutume locale, dédiée aux seuls Strasbourgeois. L’unique marché de Noël en France. 

Des marchés de Noël, symbole d’une fracture sociale ?

De l’autre côté du Rhin, la tradition des marchés de Noël perdura jusqu’au XIXe siècle. Incontestablement, ceux-ci bénéficièrent des progrès de la Révolution industrielle.

L’élévation du niveau de vie et l’émergence d’une classe ouvrière, développait la demande de produits artisanaux. Le nombre de stands augmentait et attirait une foule de plus en plus dense, disparate et parfois turbulente. Les autorités municipales et la police n’appréciaient guère ces rassemblements populaires qui, bien que festifs, pouvaient vite devenir imprévisibles et incontrôlables.

Ce point de vue était partagé par les élites urbaines et la bourgeoisie qui commençaient à redouter une trop grande promiscuité avec la classe ouvrière. Trop d’ouvriers, trop de bibelots à bas prix. Ce dédain était encouragé par la montée en force des tout nouveaux grands magasins qui offraient aux classes aisées des produits manufacturés plus sophistiqués. 

Leur campagne agressive menée avec efficacité contre la concurrence des marchés de Noël acheva la fracture. Ceux-ci furent refoulés vers les faubourgs occupés par les classes ouvrières. Chacun chez soi. 

Il y eut pourtant une exception strasbourgeoise.

Le Christkindelsmärik resta fermement ancré au cœur de la ville, ce qui ne l’empêcha pas de beaucoup vagabonder de place en place.  Il ne trouva son emplacement définitif qu’en 1871 sur la place Broglie. A l’heure actuelle où les stands se multiplient sur la Grande-île, elle reste le lieu historique du Christkindelsmärik.

Les marchés de Noël sous influence

Dans les années 1930, après des décennies d’ostracisme, les marchés de Noël allemands réintégrèrent les centres-villes. Pour des raisons que l’on occulte bien souvent, car ce retour fut favorisé par les nazis. Ce choix d’un parti peu porté aux valeurs chrétiennes semblait curieux, mais derrière ce non-sens se dissimulait un objectif idéologique bien précis.

Le nazisme voulait une nation allemande unie et soudée par les mêmes valeurs et les mêmes mentalités, notamment antisémites. Fêter la naissance d’un Enfant Jésus aux origines indéniablement juives posait un problème. Et commémorer sa nativité comme celle d’un Messie israélite était impensable.

Par ailleurs, la fête de Noël était trop populaire dans le monde entier pour être interdite. Elle devait donc être récupérée au profit d’une idéologie prônant la primauté d’une culture purement germanique. 

La nuit du réveillon était désormais considérée comme une ancienne célébration de la nuit du solstice ; et derrière le visage bonhomme du Père Noël se dissimulait l’image ancestrale d’un dieu nordique… 
Dans toute cette réinterprétation à la mode nazi d’une fête Très Chrétienne, les marchés de Noël devaient suivre, s’ils voulaient disposer d’un droit de cité et de vie. 

Désormais symbole d’une tradition allemande unique au monde, ils devenaient un motif de fierté nationale. Les produits artisanaux étaient strictement fabriqués en Allemagne, afin de relancer l’économie en berne et, bien entendu, conformes à des standards précis. 

L’Enfant Jésus fut chassé des crèches traditionnelles au profit d’une simple mère de famille allemande avec son enfant, blond aux yeux bleus. Les cadeaux de Noël proposés furent « nazifiés » : petits soldats, jouets, friandises, etc.

Quant aux chants traditionnels, ils furent édulcorés de toute allusion au Christ, à la naissance divine et même à la religion chrétienne. 


Bien entendu, il y eut des mouvement d’opposition de la part des Eglises catholiques et protestantes. Mais reconnaissons-le, les marchés de Noël à la mode nazi attirèrent des millions de visiteurs. Toutefois, on ne peut savoir si l’impact aurait été durable, car le mouvement s’essouffla avec l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale. La plupart des marchés de Noël fermèrent durant cette période

Des marchés de Noël aux enjeux très économiques

La paix revenue, les marchés de Noël rouvrirent leurs portes, en remettant à l’honneur les produits traditionnels d’une fête Très Chrétienne. On balaya tout reliquat à croix gammée ou à connotation mythologique, pour revenir à la traditionnelle crèche de l’Enfant Jésus et aux anges séraphiques. Ainsi, en 1948, le fameux marché de Noël de Nuremberg rouvrit ses stands. Désireux de faire oublier les égarements d’autrefois, il remit à l’honneur le Christkindel, symbole d’une nativité œcuménique.  

En territoire français, le Christkindelsmärik avait été préservé de la nazification de ses produits, d’autant plus qu’il ferma durant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1960, il restait le seul marché de Noël français, offrant aux Strasbourgeois des produits artisanaux introuvables ailleurs. Cependant, son monopole national chancela bientôt, mis à mal par le consumérisme et les lois du profits.  

Tout changea au tournant des années 1980, lorsque les marchés de Noël, déjà populaires, devinrent à la mode. A la faveur de l’essor économique, leur nombre explosa en Allemagne. Les offices de tourisme et les voyagistes perçurent fort bien l’aubaine touristique et financière qu’ils représentaient. En car, en train ou par fleuve, les propositions de découvertes de ces joyaux d’une tradition chrétienne et millénaire se mirent à prospérer et multiplier. Ils attiraient des milliers, puis des millions de touristes avides d’objets artisanaux originaux et de friandises locales. Une vraie manne financière que les autres pays se mirent à regarder avec beaucoup, beaucoup d’envie. Nous connaissons la suite de l’histoire. 

Aujourd’hui, en France, en Europe et dans le monde entier, les marchés de Noël rivalisent de produits originaux, d’inventivités lumineuses et de superlatifs ostentatoires. La concurrence est féroce, car ils représentent une réalité très économique qui génère chaque année des centaines de millions d’euros. Les étals des marchés du Moyen Age aux produits locaux et aux friandises naturelles sont bien loin. L’Esprit de Noël sans doute aussi.

 
 

À lire également

Précédent
Précédent

Commémoration du 11-novembre : que reste-t-il d’une victoire ?